Ceci n'est pas un article ironique, encore moins satirique, mais reflète ma vision personnelle sur l'avenir du Maroc: ce chère pays qui m'a vu naître et pour lequel j'affectionne un amour inconditionnel.
Depuis 1956, le Royaume Chérifien n'a jamais été témoin d'autant de déclin, les gouvernements se succèdent, les politiques se réinitialisent, et les projets ne cessent d'être avortés : pourquoi? Une couche marocaine appellée vulgairement "Cherfa" littéralement "Nobles" ne sont en réalité que des méchants Bourgeois (allusion faite à Molière) qui se soucient plus de leur réputation financière qu'historique.
Comment? C'est aussi simple qu'enfantin: seriez-vous prêt à donner toute votre richesse aux pauvres? A moins que vous ne soyez infiniment philanthropes, la réponse est NON. C'est ainsi que les gouvernements ont raisonnés: pourquoi donnerais-je tout mon temps et toute ma compétence à une bande de pauvres ingrats ignorants?
Malheureusement pour vous je suis assez réaliste pour admettre notre histoire : nous avons subi le plus grand hold-up de tous les temps, on nous a volé nos grands-parents, nos parents, notre innocence, notre éducation, notre droit à l'information, notre liberté de penser : en gros NOTRE PART DU PATRIMOINE NATIONAL !
Justice
Tout un chacun qui lira cet article se reconnaîtra: on a tous été un
jour victime d'une injustice administrative, judiciaire... Mais
la déception est encore plus profonde quand elle vient de l'autorité
qui est censé garantir notre sécurité.
Il y a de cela exactement un an, en plein mois de ramadan, j'ai pleuré.
En sortant du travail à 18h (1h30 avant le ftour) j'ai eu le malheur de vouloir prendre le tram devant la gare, une horde de forces auxiliaires (mkhaznia) rouait à coups de matraques un employé de Kitea (Ikea version marocaine) qui lui avait eu l'audace de crier à la vue des manifestants battus comme des bêtes: hadchi hram (Ceci est injuste)! Les touristes ont commencé à sortir leur portables pour filmer, et les bestiaux ont embarqué le malheureux à l'arrière et s'y sont mis à quatre, on voyait la fourgonnette valser de gauche à droite et on imaginait la scène à l'intérieur et on entendait le gémissement de ce pauvre employé victime de son courage. Cinq minutes plus tard ils le jettent comme un sac d'ordures et sortent tout fiers en lui ordonnant de circuler, il proteste mais rien à faire: "allez porter plainte contre nous et on verra qui le juge croira, ça sera notre parole contre la tienne."
J'étais révolté, écœuré, dégoûté, je bouillonnais de l'intérieur mais j'avais tellement les boules que ma gorge se serrait et je n'ai pu prononcer aucun mot, j'ai baissé la tête et j'ai tracé mon chemin.
Quand un détritus qui n'a pas atteint le collège (le policier) méprise un doctorant (le manifestant) et le réduit à porter des béquilles ou vivre avec un handicap à vie: on court à notre perte.
Ce n'est pas tant le fait que ça soit un agent d'autorité qui administre cette correction, mais le système judiciaire dont on connait si bien la marche qui donnera raison au policier.
Malheureusement nous vivons dans un pays où le pouvoir judiciaire est imbriqué dans le pouvoir réglementaire.
Economie
Friedman l'avait conçu, les étudiants de l'université de Chicago l'ont appliqué à petite échelle (Cuba) et l'ont fait coulé en moins de temps qu'il n'en faut pour imprimer un billet de banque, Reagan l'a modelé à l'échelle internationale, et le capitalisme le plus sauvage est né:
la déréglementation du marché, l'effacement de l'Etat ou comme disait Reagan "Government is not the solution of the problem, Government is the Problem ". Cela a duré 40 ans et pour justifier son application auprès des pays émergents on l'a appelé:
mondialisation!
Jusqu'à ce que Goldman Sachs, JP Morgan, Lehman Brothers et tous les autres qu'on se plaisait à dire aux USA "Too big to fail" have actually failed, badly failed!
Le rapport avec le Maroc? Pour une fois, la crise n'a pas touché directement notre plusbeaupaysdumonde, la raison? Parce que la crise a frappé cette fois le centre, pas la périphérie, et de grâce nous avons été épargné, mais plus pour longtemps,à cause de la super-mauvaise gestion de nos richesses, et l'affairisme atroce de nos hommes d'affaires.
S'il existe un peuple dans le monde qui s'insurge de devoir payer 80% du prix réel du pétrole au lieu des 60% auxquels l'Etat (si bon si con) l'y a sauvagement habitué c'est bien nous.
Mais malheureusement on ne sait pas autant s'indigner devant le régime oligarchique des entreprises du MASI (à défaut de pouvoir dire CAC 40).
Tous ces bénéfices qui échappent au fisc,et qui profitent bien plus aux banques suisses, pour l'anecdote, en 1990 en pleine crise financière Hassan II avait demandé aux patrons marocains de rapatrier leur argent et leurs avoirs au Maroc, pendant près de 3 mois, la Suisse était devenue le 2ème plus gros investisseur direct au Maroc (après l'Etat), c'est pour dire le volume de l'argent caché des richissimes marocains.
Le Maroc en crise
Vous ne le savez sûrement pas, mais le gouvernement actuel a non seulement hypothéqué les salaires de vos dix années à venir, mais aussi l'avenir de vos enfants.
Le FMI a prêté au Maroc 6,2 Mrd $ pour redresser sa balance des paiements, et Banque du maroc prête hebdomadairement aux banques 60 Mrd DH pour combler le déficit abyssal dont souffre la liquidité du marché,
D'après les estimations de BAM(Banque centrale) on va très vite atteindre le seuil critique des 3 mois de réserves de changes : Catastrophe!
Seuls les Grecs savent ce que le FMI exige lorsqu'il accorde des prêts. La question est: quelle garantie le Maroc a-t-il fourni au FMI?
Si par le plus grand des malheurs un PAS (Plan d'Ajustement Structurel) est imposé de nouveau au Maroc, cela sera bien plus rude que le précédent, imposé par le FMI en 1981 et qui a duré près de 10 ans, cette fois le Maroc risque de ne plus se remettre sur ses pieds.
Je doute qu'un parlementaire aura assez de courage pour confronter le gouvernement avec ces réalités, mais si tel est le cas, j'ose déjà appréhender la réponse de Benky: Priez Dieu pour que cela n'arrive pas.
Social
Pour la fin, au lieu de vous faire souffrir le martyr en lisant ma rubrique, je vous laisse le soin de lire cet article de Charles André Julien, célèbre académicien qui a décrit en 1960 l'état de l'éducation nationale. On croirait lire une critique actuelle de l'état de notre école publique.
Cette lettre a été adressée à M. Bennani, Directeur du Protocole de Mohammed V.
Charles André Julien
Paris 1 Novembre 1960
Cher ami,
Depuis hier 31 Octobre, j’ai cessé
d’être officiellement doyen de la Faculté des Lettres de Rabat. Je puis
désormais m’exprimer en toute liberté.
J’ai été appelé par Sa Majesté à
contribuer à resserrer les liens culturels entre l’Occident et l’Orient.
Je l’ai fait de mon mieux. J’ai créé de toutes pièces une Faculté qui a
acquis un solide renom, et qui eut pu devenir le centre culturel le
plus important de l’Afrique musulmane et un centre d’attraction pour les
Africains francophones. J’ai toujours été partisan de l’arabisation,
mais de l’arabisation par le haut. Je crains que celle que l’on pratique
dans la conjoncture présente ne fasse du Maroc en peu d’années un pays
intellectuellement sous développé. Si les responsables ne s’en rendaient
pas compte, on n’assisterait pas à ce fait paradoxal que pas un
fonctionnaire, sans parler des hauts dignitaires et même des Oulémas,
n’envoie ses enfants dans des écoles marocaines. On prône la culture
arabe, mais on se bat aux portes de la Mission pour obtenir des places dans des établissements français. Le résultat apparaîtra d’ici peu d’années, il y aura au Maroc deux classes sociales : celle des privilégiés qui auront bénéficié d’une culture occidentale donnée avec éclat et grâce à laquelle ils occuperont les postes de commande et celle de la masse cantonnée dans les études d’arabe médiocrement organisées dans les conditions actuelles
et qui les cantonneront dans les cadres subalternes. Avec de la
patience et de la méthode on eut pu aboutir à un tout autre résultat,
qui permettrait de donner à tous les enfants des chances égales
d’avenir.
Le Ministère de l’Education Nationale ne
parait pas répondre aux services qu’on attend de lui. On ne saurait
dire que l’ordre et la compétence y triomphent, cependant que les
éléments marocains les plus valables et soucieux de l’avenir de leur
pays sont attaqués dans l’Istiqlal. Les dossiers importants sont parfois
partagés entre trois services sans que le cabinet laisse jouer au
Secrétariat général son rôle normal de coordination. Le Ministre ne
semble pas désirer les contacts. A part la visite de courtoisie que j’ai
pu faire après ma nomination, je n’ai jamais eu l’occasion de
m’entretenir avec lui. Le Directeur de l’Enseignement supérieur, dont
dépend la Faculté, ne répond généralement pas aux lettres. Les mesures
les plus importantes sont improvisées, et il m’est arrivé de les
apprendre par leur publication au journal officiel sans que j’aie té
consulté. C’est ainsi qu’à la mi-octobre 1960, on a décidé en quelques
heures de créer une propédeutique et des certificats de licence
marocaine de langue française, sans que les programmes aient été au
préalable étudiés et que les incidences de ces initiatives aient été
mesurées. J’ai appris ces décisions en prenant connaissance de textes
polycopiés déposés sur le bureau de ma secrétaire. Il est impossible de
faire un travail efficace avec une technique si contraire ä la bonne
administration. S’il est un domaine en effet où l’improvisation a des
conséquences redoutables pour l’avenir, c’est Enseignement. On ne semble
pas s’en douter.
Sa Majesté m’a appelé à Rabat pour
promouvoir la culture marocaine, et non pour être complice de sa ruine.
Je me suis donc retiré, laissant à d’autres les responsabilités d’une
politique universitaire qui me parait imprudente et vouée à l’échec. Je
répète que le Maroc est totalement libre de choisir la politique
culturelle qui lui semble la meilleure, mais c’est à des Marocains qu’il
doit en confier l’application. C’est pour cela que j’ai sollicité du
Ministre mon remplacement par un doyen marocain. Un autre point me
parait grave quoique d’un autre ordre, c’est celui de la situation faite
aux fonctionnaires français qui sont en place, telle que j’ai pu
l’apprécier par ma propre expérience. Que le Maroc les remplace par des
nationaux, cela est tout à fait normal, mais qu’il ne leur témoigne pas
des égards auxquels ils ont droit, cela me parait difficile à admettre.
Depuis trois ans, j’ai consacré la majeure partie de mon temps au Maroc
sans autre rémunération que le remboursement partiel de mes frais. Je
l’ai fait volontiers, mais que l’on m’ait placé à plusieurs reprises
devant le fait accompli alors que j’avais la responsabilité de la marche
de la Faculté, cela ne saurait être admis par un homme conscient de sa
dignité. Faire toutes les besognes officielles, et être tenu à l’écart
des décisions fondamentales, c’est pour un doyen une position morale
qu’il lui est impossible de supporter. Quand par exemple, le Recteur
organise un banquet en l’honneur de son collègue de l’Université de
Paris, le Professeur Debré, et qu’il y invite mon adjoint M. Ben Bachir
sans m’y convier moi même, bien qu’il sache ma présence à Rabat, il
pratique une ségrégation regrettable qui m’oblige à me souvenir que le
soir de la Celle Saint-Cloud, j’étais l’hôte de Sa Majesté au premier
dîner en l’honneur du Maroc indépendant. Je puis mesurer par ce seul
fait les changements qui se sont produits depuis cinq ans.
A la cérémonie émouvante qui a marqué
mon départ, et à laquelle assistaient de nombreux marocains et français,
j’ai été salué par un professeur, fonctionnaire du rectorat, et par le
vice-doyen de la faculté. Le ministre n’était pas présent, et pas
d’avantage le directeur de l’enseignement supérieur. Ce sont les
Marocains qui ont éprouvé le plus de gène. Si j’ai reçu une lettre très
aimable du recteur, le ministre n’a pas cru devoir me témoigner la
reconnaissance du Maroc, soit en m’écrivant, soit en me recevant. Par
contre, l’ambassadeur de France et le conseiller de la Mission
culturelle dont je ne dépendais en aucune mesure et qui ont toujours
strictement respecté l’autonomie de la Faculté, m’ont réservé à
plusieurs reprises le meilleur accueil. Je me serais abstenu de signaler
l’attitude à mon égard du Ministre de l’Education Nationale si elle
n’avait entraîné des conséquences sur lesquelles je vous serais obligé
de bien vouloir attirer l’attention de Sa Majesté. Depuis le 10 mai
dernier (2), date à laquelle j’ai donné ma démission, j’ai écrit à
plusieurs reprises au Ministre pour l’informer de la situation. II n’a
pas jugé utile de m’accorder un entretien. Avant de retourner au Maroc,
je l’ai informé que je serais à Rabat, pour un dernier séjour, à partir
du 13 Octobre et que je me tiendrais à sa disposition. J’avais
l’intention de le prier de solliciter pour moi une audience de sa
Majesté. Fonctionnaire chérifien, je devais en tant que français donner
l’exemple du respect de la voie hiérarchique qui s’impose à tous.
M’adresser directement au Palais, sans passer par l’intermédiaire de mon
ministre eut manqué aux règles les plus impératives de
l’Administration. Mon Ministre ne me convoquait pas, j’ai été mis dans
l’impossibilité à mon grand regret de présenter à Sa Majesté mes
remerciements pour la confiance qu’elle m’a toujours témoignée.
Croyez mon ami à mes souvenirs les meilleurs.
Charles André Julien, professeur à la Sorbonne ».